D’audience en audience, l’affaire Belaïd n’a pas encore révélé ses secrets. Qui l’a tué ? A qui profite le crime ? On n’arrête pas de se poser autant de questions, depuis son assassinat le 6 février 2013, sans, pouvoir, jusqu’ici, y répondre.
Lors d’une conférence de presse commémorative, tenue hier à Tunis, le comité de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi vient d’apporter d’amples détails sur les derniers rebondissements du procès.
Dans la foulée, aucun mot sur la vérité.
Cette vérité qui fait grincer des dents. Son dévoilement va, semble-t-il, mettre la justice à l’épreuve et condamner certains protagonistes islamistes.
D’ailleurs, l’on a commencé par Rached Ghannouchi, dirigeant d’Ennahdha et président de l’ARP, qui a été auditionné, mercredi, par l’Unité nationale d’investigation dans les crimes de terrorisme de la Garde nationale d’El Aouina, suite à de nouvelles révélations livrées par les avocats de défense. Est-ce le début de la fin ?
« Huit ans après, la justice tunisienne n’a pas fait preuve de sérieux dans l’enquête sur ce crime lâche et odieux. Et encore moins d’investigations sur les assassins, commanditaires et ceux qui planifiaient et exécutaient…», s’indigne le bâtonnier de l’Ordre national des avocats, Brahim Bouderbala.
Pour lui, le 6 février 2013 était un jour « noir et mélancolique », exhortant les avocats tunisiens à davantage de détermination et de courage, afin de démêler l’écheveau. Jusqu’au-boutiste, Tarek Harakati, un des jeunes avocats tunisiens, garde l’espoir de voir la lumière au bout du tunnel. Il a juré de ne pas lâcher prise.
Car « les martyrs ne meurent jamais..», ainsi s’exprime-t-il, en conclusion. Ce qui s’est passé, samedi dernier, lors de la manifestation de commémoration de l’assassinat de Belaïd en disait long, selon Anouar El Bassi, membre du comité de défense de Belaïd et de Brahmi. «Une telle militarisation de la rue n’a jamais été vue depuis des décennies», s’est-il étonné, dénonçant pareille la répression policière opérée face à une marche protestataire pacifique. Le pouvoir a-t-il peur de son péché ? Craint-il que des faits liés à l’assassinat soient, un jour, révélés ? Sinon, comment expliquer cette mobilisation sécuritaire pour museler toute forme de liberté.
Akremi pointé du doigt
Et si le ministère de l’Intérieur avait été, lui aussi, impliqué ? Le comité de défense a dit posséder les preuves qui condamnent certains de ses cadres et à leur tête l’ancien ministre Hichem Fourati. Tous sont accusés de « complicité dans le vol et la détérioration » de certains objets saisis au domicile du dénommé Mustapha Khedher, inculpé dans l’affaire de l’appareil secret du mouvement Ennahdha. Tout porte à croire que l’heure de la vérité a sonné.
On arrive, en quelque sorte, à déchiffrer ce qui est codé et démonter les différents éléments du puzzle. Allusion faite, ici, à « la chambre noire » et à « l’appareil secret d’Ennahdha ».
Et Me El Bassi d’enfoncer le clou : « C’est ce réseau sécuritaire parallèle qui, comme un chef d’orchestre, avait tiré les ficelles du drame». On a souvent répété que l’assassinat de Belaïd est un véritable crime d’Etat dont les auteurs courent toujours. Dans l’impunité totale.
Alors que des tonnes de documents et pièces à conviction vont à leur encontre. Encore une fois, l’ancien procureur de la République près le tribunal de première instance de Tunis, Bechir Akremi, est pointé du doigt pour avoir entravé le cours de l’enquête, ainsi témoigne Ridha Raddaoui, membre du collectif de défense de Belaïd. L’accusé avait, à l’époque, manipulé les documents confidentiels fuités et transférés à la chambre noire au ministère de l’Intérieur.
D’autres vérités chocs !
Certes, ces données ne semblent pas nouvelles. Mais, les procédures judiciaires traînent encore en longueur. Sauf que ces récentes révélations ont dû lever le voile sur d’autres détails de taille.
Et c’est pour cela que le ministère public a agi de la sorte, en s’adressant au président d’Ennahdha pour l’entendre. Faudrait-il s’attendre, d’ici sous peu, à l’arrestation des sécuritaires complices? Aux côtés de l’ex-ministre de l’Intérieur, Hichem Fourati, Me Raddaoui a cité, nommément, Wahid Toujani, Atef Omrani, Boubaker Laâbidi, respectivement directeur général de la sureté nationale, directeur général des services spécialisés et directeur des documents au département de l’Intérieur. Ceux-ci font partie du réseau de la chambre noire, d’après lui.
S’y ajoutent, dénomme-t-il encore, Mohamed Khriji et Kaïs Nsibi, responsables à la tête de l’Unité d’El Gorjani.
Cela étant, le système judiciaire ne se porte pas bien. Gravement infiltré, il demeure en réel danger. C’est ce qu’a dévoilé, preuves à l’appui, l’avocate Imen Gzara, membre dudit collectif.
La révélation d’autres vérités-chocs liées à l’organisation secrète d’Ennahdha pourraient menacer l’ordre public, prévient-elle, sans précision. L’enquête sur l’assassinat de Belaïd n’a pas fini de capitaliser les informations judiciaires sans pour autant aboutir au verdict final. Contre vents et marées, le comité de défense a de quoi persister. L’enquête est en cours.